Séance 3 : « Configurations et reconfigurations de la censure sudiste contre Hollywood, 1915-1966. », Claire Dutriaux, 27/01/2022.

Maîtresse de conférences en civilisation américaine à l’Université Paris-Sorbonne, Claire Dutriaux est une spécialiste du cinéma américain, et plus précisément du genre du Western. En 2011, elle a soutenu une thèse portant sur la représentation des héros blancs du sud des Etats-Unis dans le cinéma américain, de The Birth of a Nation (1915) aux années 2000. Dans cette thèse, elle s’est intéressée à la mise en scène de la blancheur à l’écran, aux tensions sociales et raciales dans le sud, ainsi qu’à la censure locale des films des années 1920 aux années 1960. C’est sur ce dernier aspect que Claire Dutriaux s’est penchée dans sa communication du jeudi 27 janvier 2022, intitulée « Configurations et reconfigurations de la censure sudiste contre Hollywood, 1915-1966. ». 

Claire Dutriaux partait d’une hypothèse selon laquelle les censeurs sudistes auraient été hypocrites, réactionnaires et racistes. Néanmoins il s’est avéré que cette vision était à  nuancer car bien qu’ils et elles aient été partisans de la ségrégation, les archives (Motion Picture Producers et les distributeurs d’American Digital Archives) ainsi que la presse généraliste du sud ont montré l’ambivalence de certains censeurs à propos de la question raciale notamment. En effet, le premier décret qui autorisa la création de la censure à Chicago en 1917 au lendemain de la sortie du film The Birth of a Nation (1915), marquant la seconde naissance du Ku Klux Klan et engendrant de nombreuses émeutes dû au caractère raciste de l’œuvre. Ce décret, qui sera par ailleurs ensuite adopté dans sept états, s’inscrit dans la lignée de l’arrêt de la Cour Suprême, Mutual Film Corp c. Ohio (1915). Celui-ci refusait l’application du premier amendement au cinéma – qui garantissait la liberté d’expression, de religion et la liberté de la presse – au cinéma, qui devenait ainsi censurable. La multiplication de commissions de censure mises en place à la suite de cette décision est le point de départ de l’étude de Claire Dutriaux qui s’intéressa aux censeurs dans un premier temps, et aux raisons de la censure dans un second temps.

Hollywood étant un monde majoritairement masculin, il est étonnant de constater que ce sont les femmes qui semblent avoir été les plus représentées dans la profession de censeur.e. Ces dernières étaient issues de familles aisées, diplômées et engagées dans la culture de leur communauté (elles étaient souvent membres de women’s clubs par exemple). Ainsi, Claire Dutriaux fit elle le portrait de deux de ces femmes ainsi que d’un autre censeur masculin renommé. Lloyd Tilghman Binford (1866-1956) fut en effet le président de la commission de censure de Memphis de 1928 à 1956. Il était connu pour son inflexibilité dans la censure de scènes soulevant la question raciale, et la presse créera même le terme de «Binfordized» (littéralement Binfordiser) pour qualifier un film ayant subi sa censure. Zella Alonzo Richardson (1868-1946) fut la censeure officieuse au sein du comité Better Films d’Alanta dans lequel on encourageait la censure positive qui consiste à promouvoir les films montrant une qualité morale.Christine Smith qui prit la suite de Zella Richardson en devenant censeure officielle à Atlanta de 1945 à 1964 coupa quant à elle toute scène obscène et contraire à la morale en vigueur. Même si elle semblait soutenir un changement de l’attitude raciste de la population blanche du pays, elle finit toujours par s’allier avec les normes de la ségrégation raciale, selon la presse africaine-américaine.

Claire Dutriaux a démontré que la notion d’obscénité et la question raciale sont deux éléments importants sur lesquels les censeurs se concentrèrent pour « moraliser » un film. Le flou entourant ces deux notions, étroitement liées, donna donc lieu à plusieurs interprétations, la constante étant « le processus d’invisibilisation de la question raciale par la norme blanche ».